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Florent Souillot, Madrigall : « Le numérique concerne toutes les facettes du métier d’éditeur »

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C’est après des études en littératures comparées et un master en management de l’édition que Florent Souillot a intégré Flammarion. Six ans après, Flammarion a rejoint Madrigall, maison-mère de marques comme Gallimard, Denoël, J’ai Lu, Folio, Casterman ou POL. Florent Souillot est désormais chargé du développement numérique de ce qui est aujourd’hui le troisième groupe d’édition français et qui regroupe aussi bien des maisons d’édition que des librairies et des distributeurs, présent sur le segment de la littérature générale mais également sur celui de la bande dessinée ou des sciences humaines.

 

Comment le digital peut-il faire évoluer un secteur encore très ancré dans une tradition papier ? Quelles sont les opportunités à saisir ? Comment les maisons d’édition du groupe gèrent-elles le virage numérique ? Réponses avec Florent Souillot !

 

Le numérique dans l’edition : une mission multifacette

 

Quel est votre rôle au sein du groupe Madrigall ?

 

Florent Souillot : Je travaille sous la responsabilité du directeur de la stratégie numérique sur plusieurs chantiers, à la fois en interne dans la marche quotidienne des maisons et à l’externe auprès des autres partenaires (éditeurs, libraires, auteurs, pouvoirs publics et organisations collectives). Nous sommes par exemple le point de contact entre l’éditeur et l’interprofession sur les questions liées au numérique. Nous participons aux travaux du Syndicat national de l’édition (SNE) pour informer et fluidifier la circulation d’informations dans l’écosystème constitué des différents acteurs de la chaîne du livre.

 

En interne, nous travaillons en support des éditeurs sur les différentes problématiques amenées par le numérique : nous participons à l’organisation des procédures de documentation et de structuration des contenus, à leur diffusion à des fins promotionnelles ou commerciales, à la circulation de l’information, et nous accompagnons les éditeurs sur des projets éditoriaux lorsqu’ils sont pensés en amont pour les supports numériques. En fait, nous sommes là pour mettre de l’huile dans les rouages de toute la chaîne, car le numérique participe d’un mouvement général qui affecte les fondements du travail d’éditeur : sa relation avec les auteurs, le temps de conception et de commercialisation des projets, le cadre contractuel et réglementaire dans lequel sa démarche s’inscrit, etc. La mise en œuvre des projets peut concerner des questions patrimoniales de droit d’auteur, d’information documentaire autour des catalogues, de structuration des contenus, de distribution et de diffusion, de ré-exploitation et d’archivage… C’est très multicartes !

 

« Il faut faire la part des choses entre ce qui est contextuel et commercial à court terme et les défis induits par le numérique, c’est-à-dire des modalités d’exploitation et de commercialisations nouvelles, généralement fondées sur la promesse d’une désintermédiation, au profit d’un lien direct entre l’écriture et la lecture. »

 

 

Le digital, une opportunité pour repenser toute la chaîne de valeur

 

64% des grandes entreprises ont créé de nouveaux postes liés au digital. Est-ce également le cas dans l’édition ?

 

Les postes exclusivement dédiés à ces questions sont encore rares et les éditeurs s’efforcent de faire évoluer leur métier et leurs compétences en incluant les composantes du numérique dans leur pratique quotidienne. Un Certificat de Qualification Professionnel (CQP) vient à ce titre d’être créé en collaboration avec le SNE et des organismes de formation, pour asseoir le numérique sur des compétences concrètes et les valoriser. Il y a une courbe d’apprentissage liée au numérique avec des besoins de formation importants, qui n’auront de sens que si les éditeurs montent en compétence et continuent de faire évoluer leur métier grâce notamment au numérique.

 

Souvent, le numérique est lié à des responsabilités éditoriales et patrimoniales, car l’innovation met en jeu le positionnement des maisons. Les postes de développement les plus actifs concernent les aspects commerciaux, du marketing à la diffusion.

 

Les éditeurs ont un métier qui est assez peu connu de l’extérieur et qui est multiple, composé de métiers différents qui participent de l’élaboration des livres : juridique, production, marketing, éditorial… Le numérique repose en partie la question de la valeur et de la nature de chacune de ces fonctions : son apport réel, sa nature et son objectif, etc.

 

 

Comment la révolution digitale est-elle perçue en interne ?

 

Il faut se méfier du terme « révolution digitale » entendu comme principe et comme renversement incontrôlé du rôle de chacun, voire un mouvement dépersonnalisé. Le développement de l’édition numérique obéit à des logiques qui ne sont pas révolutionnaires, et les modifications de rythme qu’il impose (innovation technique, instabilité réglementaire, incertitudes commerciales, etc.) doivent pousser les acteurs à se positionner et à faire la part des choses.

 

Pour une part, le numérique, c’est une question d’opportunités, c’est ça qu’il faut faire comprendre, charge à l’éditeur selon son contexte d’y investir du temps dès maintenant, ou au moins d’intégrer les préventions nécessaires pour garantir le futur de sa maison. Cela va nous permettre de repenser les métiers, de diffuser plus largement les œuvres de nos auteurs, d’avoir des opportunités commerciales nouvelles et de savoir où est notre valeur ajoutée. La perception du numérique dépend du degré de développement des segments éditoriaux et de la place de chacun dans le processus d’élaboration et de diffusion des livres. Pour certains éditeurs le numérique, au même titre que le papier, fait partie du quotidien. Pour d’autres il ne présente pas encore les conditions nécessaires à l’expression de leur métier. Là-dessus, il me semble que nous avons franchi une première étape et nous ne sommes plus dans le registre de l’incompréhension ou de l’affrontement de deux mondes distincts. Nous savons que nous avons un rôle à jouer, que nous faisons des choses que les autres ne font pas. Faire des livres de qualité vaut quel que soit le support employé pour lire et le numérique, sous certaines conditions, augmente la diffusion possible de ces contenus vers les lecteurs.

 

 

inscrire le digital dans un marché très spécifique

 

Quelles sont les offres que vous pouvez proposer grâce au digital ?

 

Nous proposons nos livres aux formats numériques « standards » (ePub, PDF, etc.), mais aussi des applications de lecture avec de l’interaction, des produits grâce auxquels vous pouvez naviguer entre les applications des livres et les contenus multimédias, des sites Web avec des contenus éditorialisés, etc. Nous nous adressons directement à des communautés de lecteurs pour certains genres, ou via des libraires en ligne pour la vente grand public ou le prêt au sein des collectivités.

Les Atlas des éditions Autrement sont un bon exemple de produit conçu dès le départ pour les supports numériques : autour du livre imprimé, vous pouvez maintenant acheter les versions numériques adaptées des ouvrages, construire une cartothèque thématique à partir de chapitres vendus à l’unité, naviguer dans les contenus via une maquette pensée pour les tablettes, une table des matières interactive, utiliser du zoom HD, de la recherche in texte, personnaliser votre environnement de lecture.

 

carthothèque des éditions Autrement
Interface de la cartothèque des éditions Autrement sur tablette

 

 

Aujourd’hui, il y a encore trop d’instabilité et d’incertitudes liées à ce qui est en amont de la lecture numérique en tant que telle et qui n’intéresse que les intermédiaires, à savoir les conditions satisfaisantes de distribution et de diffusion des contenus. Sans une interopérabilité technique et commerciale garante de la diversité des canaux de vente et des contenus, il ne sert à rien de créer des produits innovants, car ces produits ne trouveront ni leur public ni leur modèle économique.

 

Pour l’instant les gens lisent en numérique parce que c’est pratique, immédiat, particulièrement adapté aux grands lecteurs ou à des publics « captifs » (la littérature de genre par exemple). On peut mettre plein de livres sur sa liseuse, les emporter, les lire, les annoter, les surligner, etc. L’offre disponible a considérablement grandi ces dernières années. Après, là où des progrès sont à faire c’est notamment du côté des usages et des contenus portés par ces offres, car nous sommes dans quelque chose de très neuf du point de vue de la standardisation des formats de lecture, des logiciels et des outils de lecture, etc. Il est compliqué de se prêter un livre numérique, de l’échanger, de l’offrir… Ce sont des usages simples mais qui dépendent justement des conditions de diffusions des contenus et concernent toute la chaîne.

 

Si les freins sont identifiés, les leviers le sont aussi. Par exemple, un laboratoire vient d’être créé à Paris, qui s’appelle l’European Digital Reading Lab (EDRL, Laboratoire européen de la lecture numérique, hébergé par Cap Digital), pour opérer sur ces leviers et proposer des solutions aux questions d’interopérabilité et d’accessibilité des contenus. L’idée est de créer les conditions suffisantes pour des projets d’édition qui parleront à l’ensemble des systèmes sans être dans une logique intégrée d’opérateur et à proposer un outil agnostique qui garantisse à la fois les usages portés par le numérique pour le lecteur final et le respect du droit d’auteur. Tant que tout ça ne sera pas en place, le numérique restera marginal.

 

« Si le numérique – malgré une courbe de progression soutenue – reste mineur aujourd’hui en termes de chiffres d’affaires,  il est néanmoins déjà stratégique pour tout le reste : chaque facette du métier est déjà problématisée concrètement par le numérique. »

 

En France, nous avons un marché du livre spécifique, réglementé et encadré : nous sommes dans un secteur qui a une histoire avec son propre temps politique, réglementaire, industriel et commercial. Le numérique ne peut pas faire abstraction de ce paysage, et encore moins lorsque les solutions doivent être amenées à un niveau collectif (auteurs, libraires, bibliothécaires, éditeurs, etc.).

 

On observe aux Etats-Unis un ralentissement de la croissance des produits d’édition numérique, voire une baisse légère, ce qui indique un effet de palier. En France, nous sommes dans une croissance linéaire, dans des proportions plus réduites, certes, mais qui continuent de croître à un rythme soutenu.

 

 

De quelles initiatives étrangères les éditeurs français pourraient-ils s’inspirer ?

 

Nous nous inspirons par exemple des travaux de normalisation menés dans le monde du Web, en participant à des consortiums comme l’IDPF et en prenant une part active aux différents ateliers de travail au sein desquels les normes de production et de diffusion des contenus qui s’appliqueront demain sont rédigées. Idem pour la Fondation Readium qui émane directement de l’IDPF et à laquelle participent beaucoup d’entreprises françaises.

 

Un autre exemple intéressant est le projet Tolino en Allemagne, car il constitue une réponse collective aux défis posés par la concentration des services de distribution et de diffusion des contenus. Ces défis ne concernent d’ailleurs pas que le numérique mais aussi le livre imprimé. Tolino en Allemagne est le fruit d’un travail commun entre des libraires et un opérateur, pour proposer une alternative aux opérateurs intégrés. Cela montre qu’une initiative nationale peut constituer une alternative valable et cela fait donc partie des chantiers dont nous pouvons nous inspirer pour nos propres marchés.

 

 

Avez-vous des conseils à donner aux éditeurs qui souhaitent initier leur transformation ?

 

Tout d’abord je leur dirais de ne pas croire que le numérique est une chose abstraite qui ne les concerne pas et qui ne mérite pas mieux que de déléguer cette question à d’autres acteurs.

Donc la première chose, c’est de bien prendre conscience que le sujet concerne dès maintenant tous les éditeurs, et que cela n’empêche pas d’avoir des réponses différentes selon les contextes, sans se jeter à corps perdu avec l’espoir d’une rentabilité immédiate. Mieux vaut prévoir dès maintenant que de devoir revenir a posteriori sur un problème qui ne manquera pas de se poser.

Ensuite, il vaut mieux éviter les effets d’annonce et les réponses toutes faites. Tout le monde a un avis sur le numérique, il y a ceux qui pensent que ça ne sert à rien, ceux qui disent que cela va tuer le papier… Plutôt que d’avoir des réponses toutes faites, il faut essayer de se poser les bonnes questions et d’observer l’évolution des usages et des rapports de force.

 

« Il faut bien comprendre que le numérique impose de se poser des questions structurelles sur les différents métiers : on ne parle pas de court terme et d’opportunités commerciales directes, mais plutôt de garantie de pérennité à plus long terme. Et ça, ça parle aux éditeurs car l’édition est un secteur où les projets sont à maturation longue. »

 

 

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Crédit photo : Pixabay / Licence CC0


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