A l’heure où la concurrence s’intensifie, le digital est plus que jamais essentiel pour toucher, capter et fidéliser des clients toujours plus exigeants et pressés. L’usage du smartphone et des technologies mobiles (Bluetooth, WiFi, NFC, ultrasons…) sont les pierres angulaires de la digitalisation des points de vente. En effet, aujourd’hui, les consommateurs ne se contentent plus de consulter leurs portables en amont de leurs achats : le mobile est devenu un véritable outil d’information et de conversion dans le point de vente.
A quelles problématiques l’usage du smartphone sur le lieu de vente permet-elle de répondre ? Les enseignes se sont-elles toutes emparées du sujet ? La question – cruciale – de la sécurité des données est-elle un obstacle au déploiement des technologies mobiles en magasin ? Renaud Menerat, président de la Mobile Marketing Association France (MMAF) et de userADgents, une agence conseil en marketing mobile, a répondu à nos questions.
La Mobile Marketing Association France (MMAF) a pour objectif de favoriser le développement du marché du marketing mobile. Pour cela, l’association présente les bonnes pratiques, met en avant des cas d’usage, explique les règles de déontologie et décrypte les méthodes à appliquer pour mettre en place des solutions de marketing mobile efficaces à travers des publications et des évènements comme le MMA Forum Paris, des petits déjeuners ou des conférences. La MMAF regroupe aujourd’hui 130 membres. Ouverte à l’international, elle est associée à MMA Global, à New York, qui compte plus de 800 membres.
Quels sont les usages possibles du mobile en points de vente ?
Renaud Menerat : Il faut distinguer deux grandes catégories. La première, ce sont les technologies qui vont permettre aux enseignes de mieux qualifier le trafic dans leurs points de vente. L’idée, c’est de répliquer ce que Google Analytics offre aux e-commerçants en identifiant d’où viennent les gens et en comprenant mieux comment ils naviguent dans le point de vente : quelles sont les zones chaudes et les zones froides ? Quel est le taux de conversion ? Derrière, cela permet d’optimiser les plans médias en fonction des sources de trafic, d’optimiser l’agencement des points de vente, mais également de faire du réengagement et du reciblage sur ces utilisateurs. C’est une vision très « data » des technologies mobiles.
Ensuite, il y a aussi toute la vue consommateur, c’est-à-dire les services que les enseignes vont pouvoir mettre en place grâce au WiFi, au Bluetooth, aux ultrasons ou encore au NFC. Ces technologies permettent notamment, en détectant la présence d’un consommateur en point de vente, de personnaliser les applications où d’envoyer des notifications micro-localisées et hyper-contextuelles.
« répondre aux besoins du point de vente et proposer un service aux consommateurs »
Les technologies mobiles peuvent répondre à ces deux axes, d’un côté les besoins du point de vente et de l’autre le service au consommateur, puisqu’en fait, les deux sont liés. A partir du moment où on équipe un point de vente avec une technologie type BLE (Bluetooth low energy) ou WiFi, on a à la fois un angle analytics et un autre service.
Certaines entreprises sont portées par leur besoin de comprendre d’où viennent leurs consommateurs et comment ils naviguent dans leurs points de vente tandis que d’autres sont plus attachées à ce qu’elles peuvent apporter à leurs clients : un message de bienvenue quand il entre dans le point de vente ou même le passage de l’application de l’enseigne en mode in-store. C’est le cas pour la Fnac ou Apple qui, lorsque le consommateur est dans un de leurs points de vente, changent l’interface de leur application mobile pour passer d’une problématique de vente à distance à un service en rapport à la présence dans le magasin.
Et cela ne se limite pas aux seuls points de vente, ce type de technologies concerne aussi les agences bancaires, les gares, les aéroports, les stades, les hôtels… C’est assez varié et on ne peut pas parler d’un secteur qui soit plus avancé que les autres : il y a des réflexions et des tests un peu partout et l’ensemble des acteurs, au-delà des seules enseignes, se penche sur l’interaction digitale dans les lieux physiques grâce au smartphone.
« La digitalisation du monde physique est un sujet qui intéresse tout le monde »
Quels exemples marquant peut-on citer ?
UserADgents a publié une étude regroupant de nombreux use cases. Ces cas d’usage peuvent répondre à une problématique de drive to store : comment, avec une vitrine interactive ou un dispositif de beacons, peut-on faire parcourir les derniers mètres aux consommateurs pour les faire entrer dans un point de vente ?
Il peut aussi s’agir de services de guidage dans les rayons, comme aux Galeries Lafayette ou chez Carrefour, grâce aux LED. Concrètement, lorsque le client cherche un produit, il est microlocalisé et on l’accompagne pour qu’il arrive à l’emplacement désiré. Il existe également beaucoup d’initiatives autour de la découverte produit, comme le scan de QR codes ou de code-barres EAN pour enrichir et rendre interactive le choix des produits.
Avec des approches comme Apple Pay, sorti en France en juillet 2016, on peut désormais payer avec son smartphone dans certains points de vente, soit en présentant son téléphone en caisse lorsque les terminaux de paiement sont NFC, soit en scannant directement le produit que l’on souhaite acheter et en payant via l’application Apple.
Quant à la partie fidélisation, elle est très liée au paiement puisqu’en historisant la transaction on couple facilement le programme de fidélité, sur lequel on peut également associer des récompenses liées à la visite dans les points de vente. On peut aujourd’hui dématérialiser la carte de fidélité avec une application mobile dans laquelle l’utilisateur pourra retrouver son programme fidélité.
En fait, on couvre l’ensemble du parcours client : du drive to store – comment je fais venir – jusqu’à la sortie du magasin – comment je fais revenir – avec des expériences et des services qui s’adressent au consommateur.
Le paiement et la fidélisation sont-ils au cœur des préoccupations des enseignes ?
C’est le nerf de la guerre. Evidemment, le drive to store et la découverte produit sont importants. Mais à partir du moment où une transaction est enregistrée – ce que permet de faire le paiement mobile – il devient possible de gérer la fidélisation avec, par exemple, l’envoi de la facture et de la garantie ou même de tutoriels dans le cas de l’achat d’un produit qui nécessite du montage ou une mise en route particulière.
Aujourd’hui, lorsque l’on paye par carte bancaire, la transaction est enregistrée, mais elle n’est pas bien exploitée. Le commerçant ne peut rien en faire, alors qu’avec le mobile, il peut y associer des services bénéfiques pour le consommateur qui, dans son application ou sur son compte en ligne, aura accès à ses factures, ses garanties… Ça change la donne et permet aussi de mesurer la conversion des gens qui viennent dans les points de vente.
« Le cadre legislatif évolue plus lentement que la technologie »
La question de la sécurité des données est-elle un frein au déploiement de ce type de technologies ?
C’est un vrai sujet, d’autant que le cadre législatif met plus de temps que la technologie, ou même les consommateurs, à évoluer. Aujourd’hui, le problème n’est pas le paiement puisque les acteurs se battent suffisamment entre eux pour savoir à qui appartiennent les données : tout ce qui touche au secteur bancaire est bien encadré.
Le sujet concerne davantage les technologies comme le Bluetooth ou le WiFi qui sont capables de collecter de l’information consommateur. En fonction de la collecte, de l’exploitation et du stockage qui en est fait, il y a de nombreuses règles concernant l’anonymisation des données, mais le cadre juridique n’est pas totalement en place, même si la Cnil a déjà arbitré un certain nombre de points. Il faut que les acteurs qui mettent ce type de solutions en place soient assez transparents dans l’information aux consommateurs concernant la collecte et l’éventuel usage qui peut être fait des données recueillies en point de vente.
Le consommateur, lui, n’en est pas forcément conscient donc, ce n’est pas une barrière à l’usage. Par contre, ça pourra le devenir demain si l’on s’aperçoit que des enseignes enregistrent des visites et se servent des informations captées de manière passive et sans Opt In (c’est-à-dire sans consentement de l’utilisateur) à des fins publicitaires.
« ça prend du temps »
On peut imaginer que, demain, tous les points de vente seront digitalisés ?
Aujourd’hui, tout ce qui est online est assez bien appréhendé. La question, maintenant, porte sur la digitalisation des assets physiques, c’est-à-dire les produits et les points de vente. Mais, comme on parle de lieux physiques et d’interaction avec de l’équipement consommateur, cela implique des technologies assez lourdes à déployer.
C’est un vrai sujet et, pour que cela représente de l’intérêt pour les enseignes, il faut un bassin d’audience relativement important. A l’heure actuelle, quelle que soit la technologie utilisée (à part peut-être le WiFi) il faut imaginer que, sur une base de population de 100 personnes, 50 ont un smartphone dont 20 avec le Bluetooth activé. Et, au mieux, 10 ont téléchargé l’application de l’enseigne, dont seulement la moitié auront donné l’Opt In pour recevoir des messages push. Lorsqu’on souhaite mettre ces technologies en place, on se retrouve face à un bassin de consommateurs adressables encore embryonnaire et on doit donc tirer des enseignements de l’expérience sur 5% à 10% des gens qui entrent dans le point de vente dans le meilleur des cas. Cela explique que les enseignes mobilisent encore peu de moyens, puisque l’impact de ce levier sur le business reste extrêmement faible. Pour proposer des solutions qui ne s’adressent pas à un échantillon mais à la majorité de l’audience d’un point de vente, il faut un taux d’équipement plus important et ça, ça prend du temps. Mais il est essentiel, pour les enseignes, de démarrer au plus tôt les initiatives dans ce domaine pour bien comprendre les usages et les bénéfices à en tirer.